La synergologie: une discipline fondée scientifiquement?

Avec la collaboration de Samuel Demarchi (enseignant et chercheur) et Nicolas Rochat (doctorant) du département de psychologie sociale de l’Université Paris 8.
Merci à Christina Lazarova et Stéphanie Gagné pour leurs suggestions et corrections.

Ce qui sera présenté dans ce texte :

  • La Presse + présentait récemment une série de textes sur la synergologie (discipline qui prétend permettre de décoder le non-verbal), écrits par Patrick Lagacé. Suite à ces textes, La Presse et M. Lagacé recevaient une mise en demeure de la part de l’avocat représentant le fondateur de la synergologie.
  • Dans la mise en demeure, on y affirmait que des références importantes avaient été ignorées, ce qui ne permettait pas aux lecteurs de se faire une idée claire de la synergologie. Ce texte analyse chacune des références offertes.
  • Aucune des références suggérées ne permet de démontrer que la synergologie est scientifiquement fondée ou valide. En fait, cette liste est plutôt atypique pour faire la démonstration des fondements d’une discipline.
  • Conclusion : d’un point de vue scientifique, il n’y avait aucun intérêt à présenter ces références dans le dossier dans La Presse + car elles ne démontraient nullement les fondements scientifiques de la synergologie.
Le dossier sur la Synergologie dans La Presse +.

Le dossier sur la Synergologie dans La Presse +.

La Presse + présentait récemment une série de textes (liste ici) sur la synergologie, une discipline qui se veut un outil d’analyse du langage corporel. Cette discipline était vivement critiquée dans ces textes, en étant entre autres présentée comme sans fondement scientifique. On y apprenait aussi que certaines organisations comme le Barreau du Québec offraient des formations en synergologie à leurs membres, malgré l’absence suggérée de fondement.

Suite à cette série d’articles, une mise en demeure a été envoyée à La Presse ainsi qu’à Patrick Lagacé, auteur du dossier. Dans cette mise en demeure, rédigée par un avocat représentant  Philippe Turchet, fondateur de la synergologie, on y affirmait ceci :

« [Patrick Lagacé a] sciemment sélectionné et manipulé l’information accessible, tout en omettant de faire état des références aux pairs de notre client, afin d’élaborer un dossier dissimulant […] son mépris pour notre client et son champ d’étude, la synergologie».

On y ajoutait que :

« [M. Lagacé] prive ses lecteurs de sources pouvant permettre de contredire ou de nuancer les seules sources dont il fait état […] »

J’ai donc voulu savoir si les lecteurs, dont je fais partie, ont bel et bien été privés de sources crédibles. La seule façon de le savoir est de retrouver ces sources et de les analyser. D’un point de vue scientifique, M. Lagacé aurait-il omis des informations importantes? C’est la question à laquelle je tenterai de répondre.

Précision: Ce texte s’intéresse seulement au volet scientifique de certaines affirmations de la mise en demeure et ne s’intéresse pas à l’aspect légal de la situation.

1. Critères d’évaluation

Image prise par Quinn Dombrowski (source)

Image prise par Quinn Dombrowski (source)

Selon son site web officiel, la synergologie « est une discipline dont l’objet est de mieux décrypter le fonctionnement de l’esprit humain à partir de son langage corporel ». Cette discipline est qualifiée de « scientifique » selon ce même site web. Les synergologues ont créé ce qu’ils appellent un lexique corporel, qui associe des éléments du non-verbal à une émotion ou à un état d’esprit. Ceci est illustré dans la vidéo ci-dessous, où une synergologue interprète le non-verbal de différentes personnes. Par exemple, elle affirme que :

  • La main droite qui agrippe la main gauche est une indication que le sujet veut contrôler ses émotions.
  • Quelqu’un qui ment aura tendance à avoir une gestuelle des mains plus basse.

La synergologie a un intérêt seulement si ce type d’analyse est fondé et si les affirmations qui sont faites sont valides. Sinon, elle ne vaut pas plus que l’utilisation du hasard ou la lecture déjà évidente du non-verbal (par exemple: on peut reconnaître en général quand une personne est joyeuse ou fâchée).

Pour démontrer que l’approche est valide, il est nécessaire d’offrir des preuves soutenant les hypothèses proposées. Il faut donc évaluer si le décodage est correct. Autrement dit, est-ce que l’analyse offerte par les synergologues et leurs affirmations sont fondées sur des observations reproductibles issues de méthodologies fiables et non biaisées (échantillon représentatif, sélection au hasard des cas, etc.)?

Avoir des chercheurs qui citent brièvement la synergologie, ou qui l’utilisent simplement comme outil d’analyse ne dit rien sur sa validité. L’efficacité d’un traitement médical n’est pas évaluée en fonction de si des médecins l’utilisent ou non. L’astrologie n’est pas évaluée en fonction de si elle est utilisée ou non par des politiciens. On évalue une affirmation selon son mérite, selon les preuves scientifiques qui la soutiennent.

Ainsi, il y a certains critères à respecter pour évaluer la crédibilité d’une hypothèse. Bien qu’il n’y ait pas de règles absolues et très strictes pour toutes les situations, la science s’est tout de même munie de dispositifs afin de filtrer les hypothèses valides des hypothèses invalides (voir différents auteurs comme Thomas Kuhn, Karl Popper et Stephen Toulmin). Même certaines instances juridiques reconnaissent l’utilité des éléments centraux de la démarche scientifique. Par exemple, selon la Cour suprême des États-Unis dans le jugement Daubert v. Merrell Dow Pharmaceuticals, Inc., les tribunaux devraient appliquer certains critères à l’admissibilité de preuves scientifiques : 1) la falsifiabilité des hypothèses, 2) la publication dans les revues scientifiques avec révision par les pairs, 3) la considération des erreurs potentielles ou connues et 4) l’acceptation générale, ou consensus (source).

Journal scientifique avec révision par les pairs: c’est l’endroit où les scientifiques envoient leurs résultats de recherche après avoir rédigé un article sur ces résultats. Le journal reçoit l’article qui contient la méthodologie, les résultats et la conclusion des expériences et le fait évaluer par des juges, qui sont d’autres scientifiques ayant une expertise dans le domaine. Les juges peuvent accepter, rejeter ou suggérer des modifications. C’est la méthode principale de communication des résultats en science.

Si on dit à une ou un scientifique que la synergologie est fondée scientifiquement, elle/il devrait s’attendre à trouver de nombreux articles scientifiques publiés à ce sujet dans des journaux révisés par les pairs. Ces articles, rédigés par différents chercheurs indépendants, devraient contenir des protocoles bien définis qui expliquent comment ont été réalisées les expériences permettant de valider les hypothèses de la synergologie. Les expériences devraient être rigoureuses et les conclusions devraient être soutenues par les résultats. De plus, il est nécessaire que les hypothèses spécifiques à la synergologie soient testées, car la synergologie n’a pas le monopole pour étudier et expliquer le non-verbal. En effet, le non-verbal est déjà étudié scientifiquement depuis des dizaines d’années.

Finalement, les scientifiques vont s’attendre à ce que les articles sur la synergologie soient publiés dans des revues crédibles et qu’ils soient référencés dans d’autres articles. Il faut savoir qu’il est facile de publier de nos jours : il existe de nombreux journaux qui évaluent très mal les articles scientifiques qui y sont soumis, comme l’a révélé une expérience du journal Science. Les experts dans un domaine risquent de mieux connaître les journaux crédibles et pertinents, ce qui va se refléter dans les références qu’ils donnent dans leurs articles. Tous les articles scientifiques contiennent plusieurs références pour appuyer leurs affirmations et leur démarche.

Qu’en est-il de la synergologie? C’est ce que nous verrons dans la prochaine section.

2. Ce que les sources disent

Puisque la mise en demeure contient une liste de références et qu’on y suggère que M. Lagacé a omis de «faire état des références aux pairs», on déduit que ces références devraient faire voir la synergologie autrement. Elles devraient, devine-t-on, donner une certaine crédibilité à la synergologie.

La mise en demeure fait état de différentes références : une thèse de doctorat, une liste de 15 articles scientifiques, un article de M. Turchet et des textes d’une professeure. Vérifions chacune de ces références.

2.1 Thèse de doctorat

La mise en demeure mentionne une thèse de doctorat produite en France, qui semblerait démontrer le sérieux de la synergologie. Du moins, c’est ce que semble laisser croire la mise en demeure. Et on suggère que La Presse aurait dû en tenir compte. Cette thèse de doctorat permet-elle d’affirmer que la synergologie est fondée?

Pour obtenir un doctorat en recherche, il faut habituellement rédiger une thèse. Cette thèse est une expérience de perfectionnement en recherche pour l’étudiant, mais en science elle ne sert en général pas de référence (sauf dans de rares cas). Pour avoir un impact scientifique, on doit plutôt rédiger un article scientifique soumis à un journal avec révision par les pairs.  Cet article sera cité par d’autres chercheurs s’il est jugé crédible et pertinent.

On peut tout de même vérifier si cette thèse contient des éléments permettant de juger de la validité de la synergologie. Il n’a pas été possible d’obtenir une version complète de la thèse pour la rédaction de cette analyse, mais son résumé est disponible ici. Il présente les éléments importants de la thèse (en présupposant que l’étudiante et le jury ont fait leur travail).

Cette thèse ne contient aucune évaluation des fondements de la synergologie. En fait, le but de la recherche est mentionné à la première phrase :

« Notre travail de recherche souhaite mettre en valeur l’importance du lien entre le comportement vocal et physique du manager et la motivation de ses collaborateurs. »

Il semble bel et bien y avoir une évaluation de l’importance du non-verbal dans un contexte donné, mais ceci n’a rien de spécifique à la synergologie. Il ne semble pas y avoir d’évaluation des affirmations spécifiques à la synergologie. Par exemple, on ne semble pas évaluer si tel geste correspond à telle émotion. La synergologie semble avoir été utilisée comme outil, mais aucune expérience n’est décrite pour valider ses fondements.

La synergologie est citée dans cette thèse et est, de toute évidence, utilisée. Mais en quoi est-ce d’intérêt pour évaluer si la synergologie est valide ou non?

La liste du jury ayant jugé la thèse, ainsi que leur formation, est offerte dans la mise en demeure. Selon cette dernière, «ces personnes ne méritaient pas d’être complètement ignorées par M. Lagacé». Or, on ne sait aucunement ce que ces personnes ont à dire sur la synergologie. Du moins, l’avis personnel des membres du jury ne fait pas partie d’une thèse. Comment peut-on les ignorer dans ce cas? On n’a aucune idée, à partir de la thèse, de ce que ces juges pensent de la synergologie. Et même s’ils avaient un avis sur la synergologie, ils devraient avoir une preuve scientifique de leur affirmation, sinon leur avis ne permettrait pas d’affirmer que la synergologie est fondée.

À quoi bon demander de considérer ces membres du jury si ce n’est que de faire un appel à l’autorité? Même si Einstein avait cru en la synergologie, on aurait exigé qu’il fournisse des preuves.d

2.2 Références d’autres auteurs

La mise en demeure indique aussi que M. Turchet a envoyé à M. Lagacé « plusieurs autres références de nature scientifique » et on peut y trouver cette liste de références. Après cette liste, on y affirme que :

« De nouveau, pas un seul mot de M. Lagacé. Il est donc à se demander si, aveuglé par son mépris et sa hargne, il a même pris la peine de lire cette liste dans le cadre de son « enquête ». »

Est-ce que ces articles contenaient des éléments pertinents? Le résumé de chacune de ces références se trouve à la fin de ce texte, dans la section supplémentaire. De plus, une catégorisation des articles en fonction du lien avec la synergologie est présenté au tableau 1 plus bas.

Aucune des références suggérées ne permet de supporter l’idée que la synergologie est fondée. Au mieux, on retrouve des chercheurs qui utilisent la synergologie comme outil d’analyse, mais il n’y a aucune justification de ce choix. En fait, il n’y a aucune analyse des fondements de la discipline créée par M. Turchet. La plupart des références données sont écrites par des gens d’autres disciplines (histoire, linguistique, politique, art, etc.) qui mentionnent brièvement M. Turchet ou la synergologie, sans prétendre faire une évaluation ou un jugement de la synergologie.

En fait, cette liste est plutôt atypique si elle vise à faire la démonstration de la crédibilité de la synergologie. En effet, voici quelques éléments qu’on peut y trouver (voir la section supplémentaire pour le # des références) :

  • Un des ouvrages est une thèse expliquant la démarche artistique de l’auteur dans la création d’un court métrage fictif. Cette personne s’est notamment inspirée d’un livre de M. Turchet pour créer cette fiction (référence #3).
  • Un des articles ne mentionne aucunement la synergologie, M. Turchet ou le non-verbal. Il semble s’agir d’une erreur de référencement, puisqu’un autre article dans la même revue, écrit en tchèque, mentionne M. Turchet (référence #12).
  • Un des auteurs utilise le conditionnel pour dire ce qui en serait « si » la synergologie était valide. Cependant, il ne va pas plus loin. (référence #2).
  • Un article critique vivement la synergologie, l’accusant d’avoir « une vision étroitement scientifique du monde», ce qui conduit « au discrédit du langage et du lien socialement construit » (référence #11).

En quoi est-ce que mentionner la synergologie, ou son fondateur, dans un texte donne-t-il une crédibilité à cette discipline? À moins de vouloir faire une fois de plus un appel à l’autorité, il peut être difficile de comprendre la valeur de cette liste, surtout qu’elle contient des choix étranges.

Est-ce que les rares chercheurs qui ont utilisé la synergologie le faisaient en connaissant bien le domaine de la communication non verbale? Tout scientifique est susceptible de faire des erreurs et d’utiliser des données ou des outils inappropriés dans ses recherches. Considérant la popularité des livres de M. Turchet, il ne serait pas surprenant que quelques chercheuses et chercheurs aient pu croire, sans vraiment vérifier en détail, que la synergologie était fondée d’un point de vue scientifique. Puisque les justifications de leurs choix ne sont pas fournies dans les textes cités, ceci est fortement possible.

Contenu en lien avec la synergologie Nombre d’articles # des articles concernés
Évaluation des fondements de la synergologie 0
Prétention que la synergologie a fait une contribution aux connaissances, avec explication ou justification 0
Prétention que la synergologie a fait une contribution aux connaissances, sans explication ou justification 1 #7
Utilisation de la synergologie comme outil d’analyse avec justification de ce choix 0
Utilisation de la synergologie comme outil d’analyse sans justification de ce choix 3 #5, #9 et #15
Utilisation pour justifier l’importance du non-verbal dans un autre domaine 3 #1, #6 et #14
Rapporte simplement ce que M. Turchet affirme, sans aucun autre lien 1 #10
Référence à la synergologie au conditionnel (si la synergologie était valide, alors…) 1 #2
Suggestion que d’autres chercheurs s’intéressant à la synergologie fassent une analyse du non-verbal d’un discours politique 1 #13
Référence à la synergologie seulement dans la bibliographie 2 #4 et #8
Utilisation de la synergologie comme inspiration pour une création artistique 1 #3
Aucune mention de la synergologie ou du non-verbal (erreur de référence) 1 #12
Critique négative de la synergologie 1 #11
Tableau 1: classement des articles cités dans la mise en demeure contre La Presse, pour son dossier sur la synergologie

Dans un de ses textes, M. Lagacé avait affirmé ceci :

« Les scientifiques qui écrivent dans les journaux savants qui font évoluer la connaissance du non-verbal ne citent jamais M. Turchet ou ce lexique qu’il peaufine depuis plus de 20 ans. »

La mise en demeure cite cette affirmation en disant qu’elle est faite « péremptoirement ». Or, la liste de références présentée dans la mise en demeure ne fournit aucun exemple où un scientifique faisant évoluer la connaissance du non-verbal cite M. Turchet dans un article scientifique. On le cite, mais pas dans un contexte où on fait évoluer la connaissance du non-verbal. De plus, aucune des références suggérées ne permet de supporter l’idée que la synergologie est fondée.

2.3 L’article de Phillipe Turchet

M. Turchet a bel et bien rédigé un article soumis à un journal avec révision par les pairs. Est-ce que cet article donne une crédibilité scientifique à la synergologie? Pour le savoir, il faut consulter cet article.

Résumé de l’article de M. Turchet:

M. Turchet étudie la gestuelle de deux politiciens, soit Stephen Harper et Gilles Duceppe, en fonction de la langue utilisée. Il veut ainsi savoir si le changement de langue utilisée (maternelle ou seconde) peut avoir un impact sur la gestuelle utilisée. Pour faire l’analyse, il utilise des vidéos tirées d’entrevues à la télévision, ayant une durée totale de 36m12s. Il valide ensuite ses hypothèses à partir d’une autre vidéo.

Source: Turchet, Philippe. « Langue maternelle et langue seconde : approche par l’observation gestuelle. » Langages 192.4 (2013): 29-43.

Est-ce que cette étude confirme que la synergologie est fondée? La réponse est assurément non. Même si l’analyse était valide et que l’article faisait preuve d’une très grande rigueur, la conclusion serait valide seulement (et insistons sur le terme seulement) pour :

  • Les politiciens analysés, soit Stephen Harper et Gilles Duceppe.
  • Le contexte particulier des entrevues télévisuelles considérées.
  • La composante gestuelle main gauche vs droite vs deux mains en fonction de la langue.

On ne peut pas généraliser l’analyse. En effet, en langage scientifique, on dit qu’il s’agit d’une analyse sur un échantillonnage de N=2 (2 sujets). Vouloir généraliser les résultats reviendrait en quelque sorte à vouloir connaître les intentions de vote d’une population en sondant seulement deux individus. On pourrait déterminer correctement les intentions de vote de ces deux individus, mais l’extrapolation à une population ou à d’autres élections est impossible.

Côté méthodologique, notons que l’auteur compare dans son analyse des entrevues pour lesquelles le changement de langue correspond aussi à un changement de lieu et de temps. Ainsi, on a plusieurs variables en jeu, ce qui brouille l’étude de la variable « langue ». Il y a ce qu’on appelle des facteurs de confusion (lire le texte ici sur les facteurs de confusion). Plus techniquement, il n’y a aucune analyse statistique pour savoir ce que le hasard aurait dû donner. On compare simplement des pourcentages, dans des échantillonnages très petits (1-2 vidéos par langue par personne).

Extrait de l'entrevue de M. Stephen Harper, utilisée pour l'article de M. Turchet.

Extrait de l’entrevue de M. Stephen Harper, utilisée pour l’article de M. Turchet.

L’auteur tente quand même de valider ses hypothèses en vérifiant à partir d’une autre vidéo où Stephen Harper alterne ses réponses dans les deux langues, selon les questions. Pour la première question, il répond deux fois, une fois pour chacune des langues. À certains moments, il utilise de façon prédominante ses deux mains et parfois il utilise surtout sa main droite (avec quelques variations). La transition des deux mains à la main droite se fait avant le changement de langue, soit environ 13 secondes avant (voir la figure ci-dessous). La transition des mains se fait avant la transition des langues. La transition des langues ne peut donc pas être la cause du changement de mains. On pourrait tout de même répondre qu’il y a anticipation (13 secondes avant). Cependant, pour soutenir cette affirmation, il faudrait le démontrer, mais ce n’est pas vérifiable dans ce contexte. Si on avait eu plusieurs transitions de langue, avec toujours la même conséquence sur la gestuelle, la situation aurait été différente. Toutefois, ce n’est pas le cas.

Langue utilisée et mains utilisées majoritairement lorsque Stephen Harper répond à la première question de l’entrevue avec Patrick Pichette. (Vidéo ici)

L’article de M. Turchet conclut avec cette phrase :

« Dans l’attente d’autres réponses, les dernières observations vidéos, en lien avec les précédentes, autorisent à penser qu’un changement de langage gestuel pourrait être l’expression d’une modification de l’état mental du locuteur, liée à un changement de la teneur émotionnelle de la situation de dialogue. »

Il s’agit d’une conclusion qui va bien au-delà des résultats de l’étude. Pourquoi cet article a-t-il été accepté dans la revue Langages alors? Cette revue n’est pas spécialisée en analyse du non-verbal, contrairement à des revues telles que le Journal of Nonverbal Behavior. Selon son site web, la revue Langages s’intéresse plutôt à ces domaines : « syntaxe, lexique, morphologie, phonologie, sémantique, pragmatique, rhétorique, sémiotique, stylistique, typologie, acquisition, pathologie, sociolinguistique, cognition, traitement automatique ». Est-ce que le jury avait l’expertise pour évaluer une étude sur le non-verbal? On ne sait pas, mais il est possible que l’article ait été accepté pour susciter des discussions. Ceci se fait parfois.

Ce qui est expliqué et évalué dans la présente analyse ne concerne pas spécifiquement le domaine du non-verbal. Il s’agit de concepts généraux en science. C’est à la base de la notion de preuve scientifique.

Notons ici que l’article de M. Turchet, qui a été publié en 2013, n’a jamais été cité, semble-t-il, par d’autres chercheurs. Du moins, en fouillant sur Google Scholar (outil de recherche pour fouiller des articles scientifiques et documents connexes), on constate qu’aucune référence à cet article n’apparaissait au moment de rédiger le présent article. Ceci montre que cette recherche n’a pas influencé d’autres chercheurs. Or, une contribution scientifique importante est habituellement citée par d’autres chercheurs pour appuyer leurs propres recherches.

2.4 Textes de la professeure Armelle Jacquet-Andrieu

Dans la mise en demeure, on affirme avoir envoyé à M. Lagacé deux articles écrits par la professeure Armelle Jacquet-Andrieu. Ces articles n’ont pas été cités de façon à pouvoir les retracer, mais il est possible de trouver tous les textes de cette professeure dans Google Scholar (outil de recherche pour chercher des articles scientifiques et documents connexes). Pour l’analyse, on peut garder seulement les documents dont un des auteurs est Armelle Jacquet-Andrieu et qui contiennent les mots « synergologie » ou « Turchet ». Les références trouvées sont dans la section supplémentaire.

Encore une fois, aucun article ne fait l’évaluation des affirmations spécifiques à la synergologie. La professeure semble avoir un intérêt pour la synergologie, mais aucun texte ne fait la démonstration des affirmations spécifiques à cette discipline. On ne peut donc pas se fier à ces textes pour évaluer les fondements et hypothèses de la synergologie.

3. L’approche empirique et l’utilisation de la synergologie

Dans la mise en demeure, on affirme que :

« [M. Turchet] présente un langage corporel faisant l’objet d’une observation empirique des comportements effectués à partir de leur classification, grâce à un éthogramme permettant de décrire ces comportements. La documentation se base sur un cumul d’informations ordonnancées dans des bases de données numériques. Et si les juges, pour prendre cet exemple, veulent en savoir plus sur la synergologie, c’est que leur fonction impose d’évaluer quotidiennement la crédibilité de témoignages souvent fort brefs, et qu’ils en sont pratiquement encore à l’âge de pierre en terme d’outils. »

Personne ne conteste, à ma connaissance, que la synergologie offre une façon d’analyser le non-verbal. Personne ne conteste non plus que la synergologie soit basée sur l’observation empirique ou qu’elle soit construite de la façon décrite dans la mise en demeure.

Cependant, ceci ne dit rien sur la validité de la synergologie. L’astrologie s’est sans doute fondée sur l’observation empirique : on a sûrement fait des liens entre des événements et la position des astres, pour ensuite généraliser et codifier les observations (assigner des caractéristiques aux différents signes par exemple). Et des chefs d’État croyaient en avoir besoin pour prendre des décisions. Ceci ne rend pas l’astrologie crédible ou fondée.

Le modèle géocentrique (le Soleil qui tourne autour de la Terre) était aussi basé sur l’observation empirique et était codifié de façon relativement détaillée pour l’époque. L’hypothèse de la génération spontanée (on croyait que certains êtres vivants comme les rats et les bactéries pouvaient être issus de la saleté par exemple) était aussi basée sur l’observation empirique.

La validation scientifique va au-delà de la simple observation empirique. Il s’agit d’une façon rigoureuse de vérifier les hypothèses suggérées. Il s’agit d’un système qui permet aussi la correction des erreurs par l’entremise du partage et de la critique mutuelle des résultats et des analyses de recherche.

4. Conclusion

Avant d’entreprendre cette analyse, je croyais trouver dans la littérature scientifique un débat entre quelques chercheurs isolés tentant de démontrer les fondements de la synergologie contre d’autres chercheurs critiquant ces études. Or, ce n’est pas le cas. Ce débat est inexistant, ce qui suggère que les chercheurs en non-verbal ne semblent pas prendre au sérieux les hypothèses de la synergologie. Plusieurs hypothèses de la synergologie sont pourtant facilement disponibles. Pendant que la recherche sur le non-verbal progresse (cherchez « nonverbal communication » sur Google Scholar par exemple), la synergologie semble éviter l’évaluation par des experts et se développe en vase clos tout en se présentant comme fondée scientifiquement.

Les références fournies dans la mise en demeure n’aident pas à donner de la crédibilité à la synergologie, au contraire. À moins de valoriser les appels à l’autorité, à moins de vouloir faire dire quelque chose que ces références ne disent pas, il n’y avait aucun intérêt de les considérer si on voulait savoir si la synergologie est une imposture ou non. Les citer sans considérer leur contenu aurait pu être plutôt trompeur pour le lecteur. Si cette liste avait été analysée dans le cadre des articles dans La Presse + comme on l’a fait ici, la crédibilité de la synergologie aurait été mise encore plus à l’épreuve.

En fait, une question m’est constamment revenue en tête en fouillant les sources citées : est-ce que quelqu’un s’est donné la peine d’aller lire ces sources? Comment se fait-il qu’on puisse croire qu’elles soient pertinentes dans l’évaluation de la crédibilité de la synergologie?

On pourrait être tenté de considérer que la synergologie a ses propres façons de valider ses hypothèses, ce qui ferait en sorte qu’une analyse scientifique ne serait pas pertinente. Cependant, ceci serait problématique : être juge et partie peut avoir des effets pervers. Ce serait un système fermé avec des hypothèses non réfutables, comme si elles étaient vraies par défaut. On pourrait alors qualifier cette discipline d’ésotérique.

J’ai l’impression que la plupart des gens qui suivent ou donnent des formations en synergologie le font de façon très honnête. S’il existait un moyen d’interpréter correctement le non-verbal, pourquoi ne pas l’utiliser? Or, les bonnes intentions ne sont pas synonymes de vérité. Les bonnes intentions ne mènent pas nécessairement à des conséquences positives.

Le problème avec ce type de discipline est l’impact que son utilisation peut avoir dans la société. Prenons l’exemple donné dans la mise en demeure : un juge qui a besoin d’un outil pour évaluer les discours et la crédibilité des gens. Imaginez un instant que vous soyez à la cour et que ce juge décide de baser sa décision en considérant entre autres votre carte du ciel. Qu’en penseriez-vous? Est-ce que ça rendrait son jugement plus éclairé ou plus inquiétant? Que ce soit l’astrologie ou n’importe quelle autre discipline n’ayant pas démontré ses fondements et sa crédibilité, la réponse à cette dernière question devrait rester la même.

Section supplémentaire

A. Liste des articles sur la synergologie dans La Presse + et La Presse :

B. Vérification des sources fournies dans la mise en demeure

J’ai retracé toutes les sources fournies dans la mise en demeure et je les ai consultées. J’ai regardé entre autres les résumés et les conclusions, en plus de fouiller pour trouver dans ces textes les référence à la synergologie, au concept de la communication non verbale ou aux ouvrages de M. Turchet.

#1) Olteanu, G. (2010). Importance of Persons Assessing and Exploiting the Specific Behavioral Manifestations of Persons Questioned during Juridical Hearings, The. AGORA lnt’l J. Jurid. Sci., ccclxxxvii.  (source)

Ce texte ne traite aucunement de la validité de la synergologie et le journal dans lequel il a été publié est dans le domaine du droit. En fait, il s’agit de l’opinion personnelle d’une personne de l’Académie de police de l’Université Alexandru Ioan Cuza (Roumanie) sur l’importance du non-verbal et de la graphologie dans les enquêtes policières. De toute évidence, la personne ne prétend pas faire une analyse de la synergologie. De plus, l’auteur cite un livre de M. Truchet destiné au grand public, comme toutes les autres références.

#2) Seghir, A. (2013). La marque comme référent ultime de la publicité. Communication. Information médias théories pratiques, 32(1). (source)

Cet article analyse les référents dans un film publicitaire en arabe. Il ne s’agit pas d’un texte qui se veut une analyse de la synergologie ou même d’une vérification des fondements de cette discipline. En fait, le non-verbal est peu discuté. La seule référence aux ouvrages de M. Turchet est dans cet extrait:

« Ces multiples gestes dits culturels qu’il effectue inconsciemment pourraient avoir une signification similaire dans d’autres cultures si, aux dires du fondateur de la synergologie Philippe Turchet (2009), leur grammaire est universelle. »

Notons qu’on utilise le conditionnel, le « si ». Ceci n’est pas une indication que l’auteur considère la synergologie crédible. On suggère une conclusion qui est conditionnelle à la validité de la synergologie.

#3) Garcia Alcantara (2013). Cuando el cuerpo comunica. Manual de la comunicaciôn no verbal (Doctoral dissertation). (source)

Il s’agit d’une thèse de doctorat sur un processus de création artistique. La création était un court métrage fictif sur la séduction entre un homme et une femme et l’auteur fait part de sa démarche de création artistique. Cette démarche ne se veut pas scientifique et ne prétend pas l’être. L’auteure affirme s’être entre autres inspirée d’un livre de M. Turchet, mais ceci ne dit rien sur la crédibilité de la synergologie. Notons qu’une série télévisée américaine, Lie to me, est aussi citée dans la bibliographie de la thèse.

#4) Mardare, G. (2011). Relations publiques—culture, langue, nation. Interstudia (Revista Centrului Interdisciplinar de Studiu al Formelor Discursive Contemporane Interstud), (10/2), 43-53. (source)

Ce texte est publié dans une revue qui s’intéresse à la linguistique et à la philologie. Cette revue n’est donc pas spécialisée dans le domaine domaine du non-verbal et personne ne prétend faire une analyse des fondements d’hypothèse associés au non-verbal dans ce texte. Bien qu’un livre sur la synergologie soit mentionné dans la bibliographie, le texte ne fait aucune mention explicite de la synergologie, de M. Turchet ou de ses hypothèses. En fait, le texte ne parle pas explicitement de non-verbal. Il est ainsi impossible de savoir pourquoi un livre de M. Turchet a été ajouté à la bibliographie.

#5) Guidère, M. (2011). Les corpus publicitaires: nouvelles approches et méthodes pour le traducteur. Meta: Journal des traducteurs Meta:/Translators’ Journal, 56(2), 336-350. (source)

Voici ce que ce texte prétend vouloir faire :

« Notre objectif est d’expliquer l’évolution qui s’est opérée ces dernières années dans le domaine de la traduction publicitaire et de montrer l’intérêt d’une approche diachronique des corpus pour la traductologie.»

Nous sommes loin de l’évaluation d’hypothèses associées au non-verbal. M. Turchet est cité lorsque l’auteur analyse les images associées à une publicité. On explique ce que signifient les différents éléments gestuels selon la synergologie. Or, on n’explique pas pourquoi on a choisi la synergologie pour faire cette analyse, et il n’y a aucune vérification sur sa validité. Il est ainsi possible que l’auteur ait choisi la synergologie simplement parce qu’il s’agissait d’un outil disponible et populaire (auprès du public) sans vraiment être conscient si c’était fondé.

#6) Giraldo, M. D. M., & Restrepo, J. P. (2011). Apodes de la comunicacién no verbal a la conciliaciôn en derecho. Diâlogos de Derecho y Politica, (5). (source)

Ce texte est rédigé par deux étudiants de la faculté de droit et science politique de l’Universidad de Antioquia (Colombie). Il a été publié dans une revue interne de cette université. L’article ne fait pas une évaluation des affirmations de M. Turchet et des bases de la synergologie. On y discute plutôt de la place que peut prendre le non-verbal dans le processus de conciliation en droit. M. Turchet y est cité brièvement, mais il n’y a aucune évaluation de ses affirmations.

On cite entre autres une affirmation de M. Turchet suggérant que les mots occupent une place plutôt mineure dans la communication. Cette idée est notamment véhiculée suite à des études d’Albert Mehrabian (aussi mentionné dans ce même texte), qui a lui-même dénoncé cette mauvaise interprétation de ses recherches.

#7) Louÿs, G., & Leeman, D. (2013). Pour une ré-évaluation paradigmatique de notre conception du parleur. Langages, 192(4), 3-10. (source)

Les auteurs de ce texte ne prétendent pas offrir une expertise en non-verbal et, une fois de plus, il n’y a pas d’évaluation de la synergologie. Gilles Louÿs (premier auteur) est spécialisé dans la littérature française alors que Danielle Leeman (deuxième auteure) est spécialisée dans la linguistique (syntaxe, lexique et sémantique). M. Turchet est cité dans ce passage :

Le lien profond du corps au verbal (son apprentissage aussi bien que sa pratique) est confirmé par les travaux de Philippe Turchet, qui étudie comment se manifestent corporellement, à l’insu du sujet, ses affects aussi bien à l’égard de ce qu’il est en train de dire (ainsi, il peut mentir) que de ce qu’il entend (qui peut l’ennuyer, par exemple).

Or, on ne sait pas comment les travaux de M. Turchet ont confirmé le lien profond du corps au verbal. Ceci n’est pas expliqué ou défendu dans le texte. Ceci ne devrait pas surprendre : ce texte ne se consacre pas à évaluer le non-verbal. On ne peut pas savoir ce qui a amené les auteurs à faire une telle affirmation. On ne sait pas si les auteurs sont informés sur l’état de la recherche scientifique sur le non-verbal. En fait, s’il y avait des études indépendantes sérieuses démontrant la validité de la synergologie, ce qui pourrait confirmer l’affirmation présentée dans l’article de Louÿs et Leeman, on aurait pu s’attendre à les retrouver dans cette liste. 

#8) Rashdan, K. (2011, June). L’accessibilité du corps et émotion: Dans un contexte scolaire et conjugal. In Emotion, cognition, communication (p. 60). (source)

Cette référence est un texte écrit dans le cadre d’un congrès. Communiquer ses découvertes dans des congrès fait partie du processus scientifique, mais référer à ce genre de texte ne confirme pas la validité de la synergologie. Et on n’a aucune idée des échanges qui ont eu lien en rapport avec ce texte pendant le congrès.

Finalement, l’auteur ne semble pas faire une analyse d’hypothèses associées à la communication non-verbale et selon le résumé, il n’y a pas de vérification non plus. En fait, un livre de M. Turchet est cité dans la bibliographie, mais aucune référence à M. Turchet ou à la synergologie n’est donnée dans ce texte.

#9) Giasson, T. (2006). Les politiciens maîtrisent-ils leur image?. Analyse des représentations visuelles souhaitées et projetées par les leaders politiques canadiens dans le débat télévisé électoral 2000. Communication. Information médias théories pratiques, 25(1), 46-83. (source)

Ce texte a été écrit par un professeur en science politique. Il tente d’analyser l’image projetée par des politiciens dans un débat politique en particulier, qui a eu lieu en 2000. Il utilise, parmi plusieurs autres outils, le lexique corporel de la synergologie (association entre des gestes et des émotions ou états d’esprit). Il utilise aussi d’autres outils similaires, développés par d’autres personnes. En fait, il utilise la synergologie seulement pour un geste précis : l’index levé.

Aucune justification du choix des lexiques n’est offerte. Le lexique de la synergologie est donc utilisé comme un outil parmi d’autres, sans inclure une évaluation de ses fondements. On ne peut donc pas se servir de cette analyse pour démontrer les fondements scientifiques de la synergologie.

#10) Jacquet-Andrieu, A. (2012). Entre langage & émotion. In Les langues latines et l’interculturalité (pp. 116-121). (source)

Il s’agit en fait d’un autre texte soumis dans le cadre d’un congrès sur les thèmes de la linguistique et des sciences sociales. Encore une fois, il ne s’agit pas d’un article soumis à un journal scientifique avec révision par les pairs. On fait état de différentes affirmations et visions de différents auteurs par rapport, entre autres, au non-verbal. La référence à la synergologie s’arrête là : aucune validation n’est faite.

#11) Boguet, D., & Nagy, P. (2011). Une histoire des émotions incarnées. Médiévales. Langues, Textes, Histoire, 61(61), 5-24. (source)

Ce texte est publié dans une revue sur le Moyen Âge. En fait, il critique la synergologie :

« D’ailleurs, rappelons que la correspondance n’est ni nécessaire, ni exclusive entre l’émotion et sa traduction corporelle, comme le croient ces néophysiognomonistes qui cherchent à saisir l’émotion à partir des expressions faciales, voire à la « lire » sur le corps comme le propose par exemple la synergologie. Ces lectures mécanistes s’enracinent dans une tendance lourde des sociétés contemporaines, nourrie d’une vision étroitement scientifique du monde, qui conduit au discrédit du langage et du lien socialement construit et promeut la quête d’une vérité immanente et immédiate, saisissable dans l’être biologique. »

Les physiognomonistes étaient ceux qui proposaient que l’on pouvait déterminer la personnalité d’un individu à partir de ses attributs physiques (forme du crâne, traits du visage, etc). Or, cette hypothèse a été discréditée depuis et n’a jamais fait consensus dans la communauté scientifique. Ainsi, on prête aux synergologues le titre de néophysiognomonistes (nouveaux physiognomonistes) pour exprimer une critique de cette discipline.

#12) Nichols, J. John Pinkerton and his vision of ancient Scythians : » Si les Aryens n’existaient pas, il faudrait les inventer » Ivo Budil. acta1/10, 138(4), 42. (source)

Ce texte ne fait pas référence à la synergologie, à M. Turchet ou même à la communication non verbale. L’auteur écrit sur un autre sujet : il s’intéresse plutôt à la vision du racisme de John Pinkerton (1758–1826) dans un livre que ce dernier a écrit.

En fait, il y a bel et bien un texte qui mentionne M. Turchet dans la même revue, mais la citation est incorrecte. De plus, le texte est écrit en tchèque. À l’aide du résumé, on peut voir que l’auteur désire présenter la vision de Turchet par rapport au non-verbal, mais ne prétend pas en faire une évaluation.

#13) Hassan, P. A. Stratégies pausale et intonative des connecteurs discursifs dans le vœu présidentiel de 2011. Revue Internationale d’Études en Langues romanes. 102. (source)

Cette recherche s’intéressait à l’utilisation des connecteurs (les mots tels que pourtant, certes, mais, donc, ainsi, car, parce que, enfin) et des pauses pendant le discours présidentiel. Ces chercheurs n’ont aucunement évalué la communication non verbale. La synergologie y est mentionnée, à la toute fin, lorsque les chercheurs suggèrent aussi, dans une future recherche, d’étudier le lien entre les gestes non-verbaux et le discours. En effet, on y affirme :

« Autrement dit, la posturo-mimo-gestuelle (PMG) met-elle en relief cette relation ou fonctionne-t-elle indépendamment? Cette question peut constituer une piste de travail académique pour les futurs chercheurs s’intéressant à la synergologie. »

La synergologie n’est ainsi ni évaluée, ni utilisée comme outil dans ce cas-ci.

#14) Barrière-Boizumault, M. (2013). Les communications non verbales des enseignants d’Education Physique et Sportive : Formes et fonctions des CNV, croyances et réalisation effective des enseignants, ressenti des effets par les élèves (Doctoral dissertation, Lyon 1). (source)

Il s’agit ici d’une thèse de doctorat, rédigée par une étudiante de la Faculté des sciences du sport et de l’éducation physique. La synergologie n’y est citée qu’une seule fois, au tout début du premier chapitre :

« Des sites spécialisés dans la synergologie (Turchet, 2009) et l’analyse des communications non verbales (Barrier, 2010) vulgarisent pour le grand public l’idée que la communication non verbale peut être analysée, en complément de la diffusion des séries télévisées ayant pour objectif la détection des mensonges et la compréhension du comportement humain (« Lie to me »). »

La synergologie n’est pas utilisée ou vérifiée. Elle est plutôt associée au concept de vulgarisation du non-verbal.

#15) Avier, G. (2013). L’émotion. Revue internationale de psychosociologie et de gestion des comportements organisationnels, 19(48), 43-71. (Source)

L’auteur était, au moment de publier l’article, doctorant à l’Institut de Management Public Gouvernance Territoriale. Encore une fois, il ne s’agit pas d’un article visant à faire l’évaluation de la synergologie.

En fait, les travaux de M. Turchet ne sont pas directement cités. Le seul lien avec ses travaux se trouve ici :

« De plus, une formation en synergologie visant à pouvoir décrypter plus aisément les expressions émotionnelles des informateurs a été suivie en amont des entretiens, ceci afin de pouvoir relancer le sujet si ce dernier n’avait été qu’évoqué subrepticement, une fois la proximité établie entre le chercheur et l’informateur, ou permettant de le signaler sur le carnet d’entretien qui nous a aidé tout au long de notre phase de collecte et d’analyse. »

Il semble donc que l’auteur croyait que la synergologie pouvait aider à décrypter le non-verbal, mais il n’y a aucune justification.

C. Les articles de la professeure Armelle Jacquet-Andrieu

Voici la liste des textes rédigés par Mme Armelle Jacquet-Andrieu. Puisque je n’ai pas réussi à obtenir la référence à ces textes, voici la liste de toutes les publications par Armelle Jacquet-Andrieu que j’ai pu trouver sur Google Scholar (engin de recherche pour les publications scientifiques) qui mentionnent les mots « synergologie » ou « Turchet ».

i) Jacquet-Andrieu, Armelle. « Entre langage & émotion. » Les langues latines et l’interculturalité. 2012. (source)

Texte déjà analysé (section précédente).

ii) Cadet, Bernard, and Armelle Jacquet-Andrieu. « Emotions, langage et prises de décision. » Holism and Health (2012): 22-29. (source)

Il s’agit d’un article publié dans le journal russe Holism and Health. Selon la page principale du journal, il s’agit du seul texte en français (les autres sont en russe, mis à part un texte en anglais). De toute évidence, il s’agit d’un journal plutôt marginal qui traite de sujets très variés (Christianisme, civilisation, guérisons, rêves, etc.).

M. Turchet est cité dans un extrait :

« Selon Wierzbicka (1995), les processus unissant émotion et langage comportent deux volets : les émotions relèvent d’abord de perceptions référées à une « sémantique universelle », de l’’ordre d’’un métalangage émotionnel commun à tous les humains, essentiellement gestuel et très méconnu encore (Turchet, 2009) »

Il n’y a donc pas d’analyses de la synergologie ou des affirmations de M. Turchet.  On cite ce dernier pour dire qu’on comprend encore mal comment interpréter la gestuelle. Ceci ne démontre rien de la synergologie.

iii) Jacquet-Andrieu, Armelle. « Approche systémique du langage et ses niveaux de conscience. » 8e congrès de l’Union européenne de systémique. 2011. (source)

Il s’agit d’un texte soumis dans le cadre d’une conférence, et non d’un article soumis à un journal avec révision par les pairs. Le but n’est probablement pas de présenter un argumentaire complet, mais plutôt de susciter une réflexion dans le cadre de cette conférence. Si on voulait présenter à la communauté scientifique une démonstration complète de la synergologie, ceci aurait été envoyé à un journal scientifique avec révision par les pairs.

iv) Jacquet-Andrieu, Armelle. « Aspects neuropsychologiques de l’acquisition des langues. » (source)

Il s’agit d’une présentation (de type « PowerPoint ») et non d’un texte. Ainsi, il ne s’agit probablement pas d’un des textes envoyés à La Presse.

v) Jacquet-Andrieu, Armelle. Langage de l’Homme: de l’étude pluridisciplinaire à l’action transdisciplinaire. Diss. Université de Nanterre-Paris X, 2008. (source)

Ce texte a été écrit en vue d’obtenir un titre en particulier en France : habilitation à diriger des recherches (HDR).  La synergologie n’est pas étudiée ou analysée dans ce document, mais on y fait référence deux fois:

« Par interactions sociales, on entend généralement plusieurs aspects de communication : contact oculaire, mimiques, postures, mouvements corporels inconscients, réflexes (synergologie) et conscients (mimogestualité). »

Et :

« On admet que l’homme s’est exprimé par gestes avant de parler, puis il a développé son expression orale en tenant compte de cette mimogestualité première (langues de signes) dont certains signaux et chaînes de signes sont devenus complètement inconscients mais restent expressifs au niveau du subconscient (synergologie) : langage universel du corps et états d’âme incontrôlés. »

Ceci ne permet pas de démontrer que la synergologie est fondée.

3 réflexions sur “La synergologie: une discipline fondée scientifiquement?

  1. Il fut un temps où j’ai cru à la synergologie. Où j’ai oeuvré pour son rayonnement (j’ai eu droit à une publication sur mon travail de synergologue) puis je suis devenu formateur. J’ai connu Mme Jacquet-Andrieu qui a assisté à deux de mes séances de formation. Je me garderai de porter un jugement sur cette personne, mais je me suis permis pour moi même d’analyser sa démarche de soutien de la synergologie. J’ai réclamé souvent plus d’études, des cours et des présentations finalisés ou le formateur ne se trouvait pas démuni parfois face au vide d’un cours. J’ai aussi avec les dirigeants de la synergologie parisienne réclamée un débat avec ceux qui critiquaient la synergologie, car je pensais qu’il était plus enrichissant que tous les acteurs du non verbal se mettent autour d’une table que de se combattre. Malheureusement, cela n’a pas été le cas, la synergologie a préféré rester isolée persuadée de son bien-fondé ou alors ne voulant pas être confronté à la contradiction ou à une étude indépendante. Mes positions m’ont valu d’être écarté de la formation (les raisons compètent seraient trop longue à raconter). À l’issue, alors hospitalisé, j’ai envoyé une longue lettre lors du congrès des synergologues à Paris. Cette lettre, certes virulente, était la représentation exacte de ce que je pensais et pense encore de cette marque. Depuis, je me suis complément désolidarisé de cette marque et reste persuadé que les résultats avancés en synergologie ne reposent que sur des observations non validées scientifiquement. J’ai été aussi assigné en justice pour diffamation. La synergologie « magnanime » a décidé de retirer sa plainte contre une lettre d’excuse. Je me suis exécuté, car je ne souhaitais plus entendre parler de cette marque. J’ai également été sans préavis, ou demande d’explication, arbitrairement retiré de la liste officielle des synergologues certifiés. Ma lettre a cependant ouvert la voie à une certaine contestation et le débat s’est ouvert et certains synergologues ont fait le choix de quitter cette marque, et beaucoup ont fait preuve de sympathie à mon égard. Je les remercie chaleureusement. Je pense que si la marque synergologie ne supporte pas la critique et tente de la faire taire par des menaces de procès.C’est plus pour un aspect d’ego et financier que pour défendre la probité de leur formation.
    Aujourd’hui, je ne me sens plus concerné et reste cependant un observateur vigilant de l’évolué de cette marque et constate qu’il semble y avoir de plus en plus d’attaques dénonçant une forme de supercherie. De plus, de plus en plus d’étude neurologique vient contredire la thèse fondamentale de la synergologie sur la latéralité des gestes à droite et à gauche à cause d’un cerveau droit et gauche (émotionnel ou calculateur).

  2. Bonsoir,

    Il est étonnant de ne lire que des critiques négatives à propos de la synergologie, alors que rien n’est complètement négatif ou positif. Une telle attitude a forcément quelque chose de louche.
    La dernière chronique, publiée contre la synergologie, est parue dans la RQP, 39-2,2018. Se lancer dans une chronique qui, par définition, porte sur une actualité, à propos d’un article publié en 2013, c’est déjà un non sens, par défnition. En outre, l’article incriminé porte sur les sicences du langage et non sur la synergologie, il est donc hors sujet. Enfin, à la lecture, les auteurs insistent beaucoup sur des données de la neuroscience, en maîtrisant bien mal le domaine (l’auteur de ce commentaire est PhD en neurosciences et en sciences du langage), alors, il est grand temps de reprendre le débat et de voir s’il y a quelque chose de positif dans la synergologie. En tout cas, ce qu’ignorent les détracteurs, c’est que dans la thèse de Ph. Turchet (2017), il y a une belle expérimentation sur les problèmes de compréhension du langage, justement à partir du non-verbal, non-conscient (base de la synergologie, bien peu l’ont compris) qui commence à intéresser certains linguistes car dans cette discipline, nous sommes très désarmés devant les problèmes de comprehension verbale.
    Alors, pour un débat, quand vous voulez !

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